Salut à toi ! J’inaugure ma première interview en ta compagnie.
Cela fait à peine quelques jours que je connais ton projet, et déjà une
multitude de questions me traversent la tête pour en savoir davantage
sur Martolea, un style pratiqué qui m’a aussitôt interpelé, en bon
amateur de Black Metal folklorique et de la scène de l’Est que je suis.
1 - Peux-tu nous présenter ton projet ? Comment t’es venue l’idée de créer Martolea, et que signifie ce nom ?
Marţolea est un projet que je suis seul à porter car c’est un moyen
personnel de retransmettre l’art et la musique de ma région d’origine
(Bucovina, dans le nord des Carpates). Le nom en lui-même est celui
d’une entité démoniaque de la mythologie roumaine qui vit dans les
montagnes et en descend tous les mardis à la nuit tombée. En chantant,
il attire les femmes qu’il surprend en train de travailler et les
punit. Le concept musical dans son ensemble est un voyage dans le monde
mythologique du sombre folklore roumain. Dans la région de Bucovina et
dans le nord des Carpates, on peut écouter un grand nombre de contes
traditionnels qui sont autant de sources d’inspiration. Je pense que
c’était simplement le meilleur moment pour faire naître un tel projet
fortement lié au folklore local.
2 – Ta première et unique démo a vu le jour il y a très peu de temps
(janvier 2009), dans quelles conditions s’est passé l’enregistrement ?
Fus-tu le seul membre aux commandes ou as-tu reçu de l’aide aussi
diverse soit-elle ?
Les gens considèrent ça comme une démo, mais pour moi c’est bien plus
que ça. C’est un mini album conceptuel qui n’est rien moins qu’un
aperçu de ce sombre folklore roumain qui me fascine tant. Ensuite, je
ne voulais pas faire une démo dans le seul but commercial de démarcher
les labels, je reste dans l’idée de créer quelque chose d’artistique
avant toute chose. Cette sortie a été autoproduite, distribuée par mes
propres moyens, et je suis pleinement satisfait du résultat. Je suis la
seule personne derrière le groupe, que ce soit pour la musique, les
arrangements, la composition et les instruments. L’enregistrement s’est
passé dans mon petit studio improvisé ainsi que dans la nature autour
de mon domicile pour les instruments acoustiques. Je possède un peu de
terrain dans le coin et je vais souvent là-bas pour répéter ou pour
enregistrer dans l’environnement qui convient le plus à Marţolea : près
de la forêt. Tout ne s’est pas passé parfaitement bien cela dit, j’ai
eu quelques difficultés avec la pluie (qui tombe souvent dans cette
partie du pays) et avec des oiseaux sauvages qui essayaient de ruiner
mes enregistrements. Mon ami Schaerban s’est occupé de la couverture
pour l’album et m’a également aidé pour la production et
l’enregistrement en plein air.
3 – Quelle est la thématique parolière ?
Il s’agit de charmes conçus pour lutter contre diverses entités
maléfiques telles que Samca ou Muma Pădurii que j’ai empruntés au
folklore roumain. Ils expliquent les rituels de protection contre ces
forces maléfiques, ou comment leur échapper quand on les rencontre. Ils
sont très fortement liés au sombre folklore roumain, et il serait
presqu’impossible de traduire ces paroles ou même leur sens.
4 – Ta démo est disponible en intégralité sur ton site officiel et
sur Myspace. Est-ce une volonté de capter un plus grand auditoire pour
recueillir plus d’avis et progresser / une démarche pour se faire un
nom et un auditoire susceptible de suivre tes futurs travaux / un
simple plaisir de faire partager tes créations / ou pour une autre
raison ?
Je pense que la musique devrait être quelque chose de gratuit, surtout
quand on considère la technologie d’aujourd’hui, et je suis un grand
partisan du partage de musique. Si tu aimes ce que tu écoutes,
achète-le ensuite ! On devrait toujours connaitre ce pour quoi l’on
paye. Et si on souhaite soutenir les artistes, il faut assister à leurs
concerts et acheter leurs productions ! Cela dit, Marţolea n’a aucune
vocation commerciale, que ce soit avec des concerts ou n’importe quoi
d’autre. Il y a des CDs uniquement parce que beaucoup de gens préfèrent
ce support. Je ne touche absolument rien sur la distribution, alors que
les gens achètent ou pas m’importe peu. Bien sûr, plus il y a
d’auditeurs, plus les retours seront intéressants.
5 – Cela fait à peine un peu plus de deux mois que ta démo est
sortie, c’est sans doute encore trop précoce, mais quels retours as-tu,
des critiques plutôt négatives ou positives ?
J’ai reçu de très bonnes critiques, et toutes me demandent quand la
suite viendra héhé ! Je suis ouvert à toutes les critiques,
fussent-elles négatives. Et bien sûr, tout est très subjectif, donc au
final, rien n’est « bien » ou « mal » fait.
6 – Je regrette cette boite à rythme qui enlève le coté rustique du
folk, envisages-tu à l’avenir d’engager un batteur pour donner un
caractère plus organique aux compositions ? Et d’une manière plus
générale, souhaites-tu collaborer avec d’autres personnes ou
préfères-tu rester seul aux commandes ?
Je n’ai pas eu le choix pour les parties de batterie. Au début, j’ai
essayé de les jouer moi-même, mais ça ne rendait rien. Ensuite, je ne
connais aucun batteur dans ma région. C’est pourquoi j’ai choisi
d’utiliser une boîte à rythme, avec le son le plus simple et le plus
merdique possible. Pour ce qui est de collaborer avec d’autres
personnes, je préfère rester seul mais tout peut arriver à l’avenir. Si
tu peux me recommander un bon batteur qui est sur la même longueur
d’ondes que moi, je suis preneur.
7 – L’utilisation d’instruments traditionnels semble être la base de
ton projet et une volonté de faire découvrir la culture de ton pays au
monde entier. Peux-tu nous présenter ces instruments ?
Le Buciumul (trâmbița) est un cor en bois de trois mètres de long
fabriqué à partir de l’épinette et couvert d’écorce de bouleau qui est
toujours utilisé par les bergers des montagnes de Rarău pour se
signaler. De nos jours on le retrouve dans les manifestations
traditionnelles du nord de la Roumanie. Les buciums utilisés sur cet
album ont été enregistrés dans la nature, autour de Moara Dracului.
La Cavalul (kaval) est une sorte de cornemuse en bois qui produit des
sons assez graves, dont tous les bergers des Carpates et des Balkans se
servent encore. Elle a une sonorité chaude, mélancolique et agréable.
Les cavals utilisés pour les enregistrements sont faits en cerisier.
Le Fluierul est un instrument en bois avec des sons allant du normal à
l’aigüe. Les bergers s’en servent pour rassembler leurs animaux ou pour
se divertir. Le plus souvent à six trous, cet instrument de berger est
un symbole pastoral traditionnel. Sur cet enregistrement, j’ai utilisé
des instruments faits de très vieux bois.
Le Drâmba (une harpe de bouche) est un instrument lamellophone présent
dans grand nombre de cultures et considéré comme l’un des plus vieux
instruments au monde. Il est devenu rare en Roumanie, mis à part dans
certains petits villages isolés.
8 - Je vois que tu emploies exclusivement le roumain dans tes textes.
J’imagine que c’est dans le but que les émotions transmises gardent
leur authenticité ? Néanmoins, penses-tu utiliser d’autres langues sur
les futures réalisations ?
Je n’ai jamais imaginé utiliser une autre langue que le roumain dans ce
projet. Je parle anglais pour le faire connaitre mais ça s’arrête là.
Une langue authentique, des instruments traditionnels et de sombres
émotions : voilà ce qu’est Marţolea. Et bien sûr, beaucoup de riffs et
de drumblasts dans le tas pour faire plus evil.
9 - D’ailleurs, fais-tu partie d’un orchestre ou autre entité
musicale populaire à coté de Martolea ? Depuis combien de temps
expérimentes-tu ces instruments ? Et plus généralement, depuis quand
entretiens-tu cette flamme identitaire et culturelle, quel a été le
déclic ?
Je ne fais pas et n’ai jamais fait partie d’un orchestre. Je voyage
beaucoup, il est donc difficile de trouver du temps pour jouer avec des
ensembles traditionnels, comme je suis souvent loin de chez moi. Depuis
mon enfance les ensembles de bucium me fascinent, c’était donc dans
l’ordre des choses que je m’y essaye un jour où l’autre. J’ai toujours
été attiré par ce puissant son mystérieux. Et j’ai grandi aussi bien au
milieu de contes folkloriques et d’histoires passionnantes que de
paysages époustouflants, de forêts et de sombres falaises. Tout ceci a
toujours une influence sur moi. J’ai commencé à jouer à des instruments
à vent il y a de cela quelques années, et dans ce domaine je suis un
parfait autodidacte. Evidemment, j’ai acheté un paquet d’instruments
merdiques au début. Mais finalement j’ai commencé à m’y connaitre
sérieusement et à bien choisir mon instrument. Il y a bien sûr bon
nombre de personnes talentueuses qui maîtrisent ces instruments avec
grâce et que j’admire beaucoup. Pour être franc, je suis bien en
dessous de ce niveau-là. J’ai déniché quelques excellents fabricants
d’instruments et j’en suis très content. C’est très dur de trouver de
bons instruments ou des personnes qui les fabriquent avec passion.
C’est tellement difficile que la plupart des gens arrêtent de chercher
très rapidement.
10 - La jeunesse roumaine est-elle suffisamment friande de musique
folklorique pour la voir intégrée dans d’autres courants musicaux, tels
le Black Metal, voire même le Harsh Noise…etc ?
De mon point de vue, il n’y a pas tant de jeunes roumains que ça qui
écoutent de la musique traditionnelle ou du metal. Je pense que c’est
mieux de considérer la question dans l’autre sens. Les métalleux aiment
bien avoir des instruments folkloriques dans leur musique.
Malheureusement, c’est devenu trop commercial et beaucoup de groupes
disparaissent à cause de ça. De nos jours, c’est cool de faire du folk
metal ou du pagan/viking metal. Ajouter des instruments exotiques à des
morceaux juste parce que c’est la mode, ce n’est pas faire de la bonne
musique, ce n’est pas faire de l’art. Il faut utiliser tel ou tel
instrument si sa présence est nécessaire et que la musique l’exige, pas
parce que les fans le veulent ou que les autres groupes le font et que
ça a l’air cool.
11 – Quels sont tes groupes références ? et d’une manière générale, qu’écoutes-tu comme musique ?
Je n’écoute pas tant de groupes que ça : en général, le black metal
norvégien du milieu des années 90, du viking metal et quelques autres
choses intéressantes qui viennent de Finlande. J’écoute également assez
souvent de la musique roumaine traditionnelle, de vieux enregistrements
ou des musiciens talentueux.
12 - Quelle est ta vision de la scène roumaine ? A ce titre, peux-tu
nous citer quelques formations nationales dignes d’intérêt ?
Et bien je ne suis pas très fier de la scène roumaine en général. Mis à
part Negură Bunget je ne pourrais pas te citer d’autres groupes qui
puissent sortir de l’ordinaire.
13 – Question traditionnelle : que penses-tu de la scène française ? Quels sont les groupes que tu apprécies ?
Pour être franc, je n’ai pas trop suivi la scène française ces derniers
temps. Mais il y a de très bons albums. J’ai passé quelques temps en
France et ai été à quelques concerts, et je peux dire qu’il y a pas mal
de monde dans le metal ! Je pense vraiment qu’il y a un vrai potentiel.
Comme ça, je pourrais te citer Peste Noire, Celestia, Mortifera, Svart
Crown ou Artefact. Malheureusement, les paroles en français posent
toujours des problèmes pour les non-anglophones, alors la bonne musique
avec des paroles en français a du mal à arriver jusqu’ici.
14 – Je ne vais pas te le cacher, j’ai découvert l’existence de ton
projet en me renseignant sur le line-up de Negura Bunget. Tu as
participé à l’album « Om » des ténors roumains. Comment es-tu arrivé à
cette collaboration ? Comment s’est passé l’enregistrement ?
J’ai rencontré Negură Bunget plusieurs fois avant ça, et ils aimaient
mon intérêt dans les instruments traditionnels. Sur « Om », ils
voulaient expérimenter d’authentiques instruments roumains, et la flûte
a crée une atmosphère unique, édifiante, ‘solaire’ sur Hora Soarelui.
C’était une bonne expérience pour moi, j’ai beaucoup appris à leur
contact, que ce soit en termes de musique ou de pensée. La
collaboration ne s’est pas arrêtée à l’enregistrement mais a été
jusqu’à certains concerts, parmi les meilleurs que j’ai jamais vus. Ce
sont des gens super, et vraiment les meilleurs avec qui j’ai eu
l’occasion de travailler.
15 – Negura Bunget souhaitent-ils renouveler cette collaboration pour leurs prochaines réalisations ?
Je n’en sais rien, mais comme je me trouve actuellement loin de Roumanie, l’éloignement risque de poser un problème.
16 – Je suis vraiment curieux d’entendre tes prochains travaux,
as-tu déjà des idées, des plans de compositions ? Quelles évolutions
souhaites-tu apporter à ton projet ?
Je n’ai pas commencé à travailler sur la suite du projet, comme je suis
loin de chez moi, je continue mes études au Danemark. Je n’ai pas de
plans d’évolution en tête parce qu’il y a encore beaucoup à explorer
sur la voie dans laquelle je me suis lancé. Ce dont tu peux être sûr,
c’est que le futur sera sombre…
17 - As-tu d’autres projets musicaux en tête ?
Pas pour l’instant, j’attends toujours le moment où j’aurai tous mes
instruments en un seul et même endroit. Mais même ceci mis à part, je
n’ai pas de projets dans l’avenir. Je ne fais pas de projets pour ce
genre de choses. Elles arrivent, c’est tout.
18 – Merci pour cet entretien ! Si tu as autre chose à ajouter, je te laisse le mot de la fin !
Merci beaucoup pour cet entretien, et merci pour le soutien ! C’était
ma première interview pour moi aussi, et j’espère que ce ne sera pas la
dernière. Juste au cas où on se rencontrerait un jour où l’autre, la
première bière est pour moi ! J’espère vraiment revenir sur la Côte
d’Azur pour boire beaucoup de bières Belzebuth !
A bientôt, et continuez de faire bouger la scène française !
Site officiel :
http://www.martolea.com
Page MySpace :
http://www.myspace.com/martolea Interview par S.
Traduction par O.