Kypck - Cherno

Kypck - Cherno - 5/6 - par Stryg
Kypck - Cherno
Groupe : Kypck
Album : Cherno
Genre : Soviet Doom Metal
Année : 2008
Label : UHO Production
Pays : Finlande
Durée : 54:14
Remarques :
Note : 5/6
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Imagine un peu... Ton nom est Anton Klimov, tu sors tout juste de l'adolescence et tu as passé ton enfance à Moscou. Tu as passé des années à chanter des hymnes à la gloire de Lénine, père de la patrie, et à louer le nom du petit père des peuples, le camarade Staline. Mais le Tsar de toutes les Russies, tu t'en souviens pas. Par contre, tu te souviens que lorsque tu étais petit, entre les réunions des jeunesses communistes et la peur de ton père d'être arrêté par le NKVD la nuit, tu passais quelques moments d'insouciance au parc avec tes amis. Ton père n'a pas été arrêté. Mais ta mère oui, et tu ne sais pas pourquoi d'ailleurs. Tu ne l'as pas revu depuis. Tu travailles dans une usine sidérurgique, tu vis chichement mais le visage de la belle Svetlana te réjouit. C'est une belle journée d'été 1942 le ciel est dégagé, tu penses encore à elle. Tu te diriges, avec d'autres paumés de ton âge, vers Stalingrad. Bientôt, tu ne penseras plus à Svetlana, puisqu'une seule obsession occupera tout ton esprit : Ne pas crever. Surtout ne pas crever.


À mesure que tu te rapproches de la ville de feu, le ciel s'assombrit, la nuit s'installe et tu respireras pour longtemps encore cette odeur qui te brûle la gorge et te donne la nausée. Ça, c'est que l'on pourrait appeler l'effet « Cherno ». Si Candlemass t'invite au Paradis Perdu de John Milton, alors Kypck t'envoie directement en enfer, mais pas n'importe lequel : celui du Paradis Socialiste, de l'Archipel des Goulags, de l'Enfer Stalinien. Rien de plus.


Musicalement, la recette qu'emploie le groupe est à la fois simple et complexe : Riffs lourds, plutôt lents, mais efficaces, rythmes simples qui accompagnent discrètement les cordes, de nombreux breaks de bon aloi qui transcendent ton esprit réactionnaire petit-bourgeois. Ah oui, ces breaks, écoute ces breaks tovaritch, écoute cette réverbération qui enneige ton esprit, qui parvient à le reposer face au feu de la première guerre industrielle que l'Homme expérimente, avec un succès proportionnel au désastre humain. Même avec ce chant passé à la vodka, c'est beau. Ce n'est cristallin comme du Chopin, j'en conviens camarade, mais il est beau, comme une chanson de Vladimir Vissotsky en plein hiver sans provisions.


Mais la grande force de cet album, tellement insolente de beauté qu'elle en devient réactionnaire, c'est surtout... Ce chant... Ce magnifique chant en langue russe du finnois E. Seppänen qui officie également chez Dreamtale... Admirable de bout en bout, ce chant rugueux du début à la fin est la principale clé de leur musique, son langage, sa narration. Les instruments en eux-mêmes apportaient déjà leur lot de lourdeur et d'ambiances hivernales, mais c'est véritablement cette voix qui anime tout l'esprit soviético-dépressif du groupe. Car même sur les titres les plus musicaux, comme sur le presque entraînant « 1917 » ou encore l'ultime « Demon », c'est vraiment la voix qui guide la musique et non l'inverse. De là à dire que les riffs sont presque accessoires, il n'y a qu'un pas que je ne franchirais pas, mais en tout cas, le rendu est bluffant et on n'a qu'une envie : se noyer, encore et encore, dans les méandres de cette voix de ce condamné qui assiste, impuissant, à la déconfiture du pays de son enfance.


Au niveau du son, parfois du style et jusque dans la construction d'une œuvre, on a un peu l'impression d'avoir à faire à un pendant « XXe siècle totalitaire » et moderne du « Forest Equilibrium » de Cathedral. Le son est épais, lourd, prend toute la place, un peu comme un char soviétique T-34, s'en balance pas mal du reste, et confère un petit cachet presque « funeral doom » à l'ensemble. Si le chant est primordial, la diversité des structures est un atout de taille : plaintes fatiguées, passages plus chantants et presque rock (la petite influence Sentenced), breaks atmosphériques sombres... Cette diversité maladive, camarade, tous ces vécus torturés que tu rencontres, tu ne l'avais pas encore vécu du temps des écharpes rouges des Jeunesses Communistes. Maintenant, c'est le sang qui rougit ta veste, et tu ne crois plus à rien.


Il ne s'agit que d'un premier album, celui d'un groupe avec un potentiel émotionnel qu'on ne voyait pas venir. Car toi non plus, tu ne l'as pas vu venir. Tu résistais face à la VIe Armée de Von Paulus près du fleuve Don, avec en face de toi, Stalingrad ravagée. Mais un feu providentiel et salvateur est apparu d'un coup du ciel. Ce feu s'appelait Katyusha, ces orgues de Staline qui allaient trois ans plus tard anéantir Berlin. Mais toi, Anton Klimov, jeune partisan russe, peut-être que tu n'en reviendras pas...


En ultime conclusion, Slava tovari... Doom !

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