Il faut quand même avouer que le premier album de Kypck, « Cherno »,
a été une très franche réussite : Un style très personnel, déjà très
bien maitrisé dès le premier album, une thématique intéressante et
encore très peu explorée, un chant original, des compositions prenantes.
Par dessus tout, l'album avait vraiment une unité stylistique, entre un
doom rugueux et hivernal, et quelques parties posées, plus lentes et
atmosphériques. Bref, un caviar (russe, faut-il le rappeler) de bon
aloi. L'annonce de la sortie de « Nizhe », première contribution en trois ans après « Cherno »
laissait quelques interrogations : Plutôt que de faire deux fois le
même album, alors qu'il n'y a strictement rien ajouter, allaient-ils
changer leur recette ? Prendrait-on le même plaisir mal dissimulé
d'agent du NKVD devant un dissident ?
Après une introduction assez dispensable, on écoute d'une seule traite « After »,
sans difficulté, et on en arrive très rapidement à la réflexion
suivante : Kypck n'a pas changé de fusil d'épaule, et garde le style qui
a fait sa renommée. Rythmes lents, guitares lourdes et graves, la voix
Seppänen est toujours aussi prenante avec son timbre de voix inimitable
et son chant russe. On rencontre encore au fil de ce titre ces quelques
notes de guitares rongées par la réverbération qui ajoutent un peu de
diversité à l'ensemble des compositions, et qui se marient toujours
aussi bien avec le reste d'ailleurs. On a en gros toujours cet unique
parfum de Russie qui vit du mauvais côté de l'histoire du XXe siècle. On
notera la présence des mêmes titres-structures sur l'ensemble de
l'album que l'on découvrait déjà sur le premier. Toujours la présence de
titres longs, lents et bien lourds, dans l'esprit d'un doom rugueux et
tout de même assez lourd, comme « After » ou « Tovarishcham »,
avec leurs tempo lents et aux cordes graves. Des titres plus
« mélodieux », qui ont plus un air de chanson à refrain par rapport aux
autres titres tourmentés de l'uvre, comme « Alleya Stalina », qui ressemble dans l'esprit de sa musique, au « Demon » de l'album précédent. L'aspect « monde slave totalitaire » est préservé, bref, de ce côté-là, rien n'a changé.
Je
posais essentiellement deux questions en début de chronique. Est-ce que
l'album est aussi bon ? Disons-le tout de suite, il est excellent.
C'est vraiment un très bon album de doom metal, bien construit, bien
pensé, toujours avec cet univers très « oublié de l'histoire » bien
retranscrit dans la musique. Mon autre question concerne les changements
qui se seraient opéré en l'espace de trois ans. On l'a bien vu, a
priori, rien ne distingue nettement les deux enregistrements, pas de
changement de style tel que l'a fait Sentenced au cours de sa carrière. A priori... Car on aurait vraiment tord de ranger rapidement « Nizhe » en se disant qu'il ne s'agit que d'une redite du premier album.
Je
vous invite tout d'abord à comparer les deux pochettes qui en disent le
plus long sur la principale différence entre les deux albums : le
feeling. Si « Cherno » donnait dans l'hivernal nocturne, telle une Sibérie qui regorge de goulags, « Nizhe »
fait appel quant à lui aux ténèbres. Déjà que le premier n'était pas
lumineux et affichait facilement ses -20°, la présente offrande donne un
ton nettement plus sombre. Ça se ressent d'ailleurs sur l'ensemble de
l'album, qui présente dans sa musique un aspect nettement moins
hivernal, dû à la présence plus dispersée et feutrée d'utilisation de
cordes claires. La production, quant à elle, est moins agressive au
niveau des guitares, ce qui rappelle plus une grotte gelée, révélée par
des bombardements massifs qu'une tempête de neige qui secoue la toundra.
Tous ces éléments donnent une identité particulière à ce « Nizhe »,
plus noir, plus jusqu'au-boutiste, quand même plus homogène, mais
peut-être moins un poil moins passionnant à suivre que son prédécesseur.
On gagne en unité ce que l'on perd en petites surprises auditives, et
personnellement, certains longs morceaux auraient été peut-être plus
appréciables avec des breaks plus nombreux auxquels Kypck nous avait
habitué : voix claire trafiquée, passages chantés, un côté un peu plus
rock.
Au fil des écoutes, on s'aperçoit pourtant que « Nizhe »
est moins à voir comme une deuxième fièvre de curiosité qu'une uvre
aboutie, moins accessible que la première, mais de grande qualité tout
de même.