Quand on découvre une nouvelle scène, on ne sait jamais trop sur quoi on
va tomber. Et cela surtout quand il s'agit d'une scène qui se situe à
l'autre bout de la planète, dans un pays à la culture et aux conceptions
radicalement différentes des nôtres, une jeune scène qui ne commence
qu'à former son visage depuis une petite dizaine d'années. Après, bien
sûr, si on compare deux groupes de rétro-thrash, l'un allemand, l'autre
japonais, on risque moyennement d'avoir une grosse surprise. Mais en
fouillant du côté des groupes asiatiques, tomber sur ce méfait au
patronyme digne de série Z, dont les descriptions ça et là vantent
l'étiquette « chinese mongol folk extreme metal with sludge and noise elements », ça pousse franchement à voir de quoi il en retourne.
Ce
premier album des Voodoo Kungfu a comme principale caractéristique
d'être quasiment au titre près une version studio de l'enregistrement
précédent du groupe, un concert live filmé, sorti en format DVD deux
années auparavant ; Il s'agissait surtout de l'un de leurs premiers
concerts qui précédaient aux répétitions du nouveau-né, à l'époque où le
groupe constituait son identité musicale et thématique. Alors pour un
premier album, qu'en est-il ? Simple coup d'essai ou résultat d'une
authentique gestation d'influences, d'idées et de vécus ?
La
réponse définitive, et cela est tellement rare pour le souligner, se
situe à l'écoute du premier titre, « This Shore », long d'une dizaine de
minutes. L'ambiance s'impose directement, en quelques secondes à peine :
violons mongols, instruments à cordes, chants et rythmes tribaux
primitifs qui s'organisent autour d'un fil conducteur, une ambiance
ésotérique et mystique enfumée, un peu comme si vous vous trouviez dans
une caravane d'Asie centrale qui parcourt le désert du Taklamakan.
Incapable de savoir ce que vous faites là, passif, vous ne faites que
regarder un spectacle terrible mais hypnotique, un rite funéraire
ancestral dans lequel vous ne captez que des fumées enivrantes et des
visions fantomatiques. Mais c'est quoi ce truc ? Non, ce n'est pas du
gros metal avec des accents folkloriques parsemés comme pourrait le
faire Nokturnal Mortum. Non, ce n'est pas non plus l'inverse, du folk
pur et dur qui agrémenterait sa musique d'aspects metal, comme le fait
Nucleus Torn, qui avec ou sans metal, reste du Nucleus Torn. Non,
chacune des facettes du groupe est indispensable l'une envers l'autre,
là où les parties metal hurlées, voire carrément sludge répondent aux
parties lentes et folk. C'est tellement bien foutu qu'on croirait
presque à un dialogue mystique à plusieurs voix entre ces différentes
influences, où le leader Li Nan fait parler le metalleux qui est en lui
(un amoureux de death, de doom mais aussi de sludge et d'ambiances
parfois urbaines), mais aussi le mongol, le religieux, l'ermite... Li
Nan a réussi à parfaitement maîtriser chacune de ses facettes pour
composer une musique unique, homogène et extrêmement riche. Li Nan
chante, hurle, scande, prie, implore les dieux. Ce titre d'introduction
est en soi l'introduction à toute la mythologie musicale du groupe.
Le
reste de l'album confirme l'idée d'un groupe à la réelle identité, qui
cultive un véritable intérêt pour le côté sombre et mystique de leur
culture. Non content de reprendre la richesse que révélait le premier
titre, ils étendent le champ d'ouverture vers d'autres contrées, vers
d'autres rites ; Alors que le titre introductif était posé et
permettait une entrée en la matière ma foi plutôt soft, les phases de
violence se succèdent dans les titres suivants en faisant quelque chose
d'assez fou : Gros son metal, style sludge qui lorgne rapidement sur le
punk sur des rythmiques et un feeling qui rappelle rapidement les
délires ethniques folk entendus précédemment. L'excellent « Untitled »,
la cinquième piste, permet de se rendre compte à quel point l'album est
incroyablement mature pour une première contribution : passages purement
atmosphériques et calmes, avec une bonne dose émotionnelle et
nostalgique, des passages ethno-délirants mongols et le headbang couplé à
la haine viscérale du sludge. Ça part dans tous les sens, sans que ça
soit foutraque et désorganisé, on prend instantanément son pied et ça
fait plaisir. Énorme expérience.
Nombre
d'entre vous l'auront remarqué, il y a deux reprises. « Sweet Dreams »
d'Eurythmics et... « Get Up, Stand Up » de Bob Marley (!!!).
Étrangement, elles ne dénotent pas vraiment du reste tant Voodoo Kungfu
souhaite rester faire du Voodoo Kungfu, et tant mieux ! Car reprendre
Bob Marley en version hardcore/sludge sans se vautrer, faut le faire. La
palme revient à « Sweet Dreams » qui reprend le style imposé par la
reprise de Marilyn Manson en l'agrémentant de touches folk, comme
toujours, en remplaçant les guitares claires par du violon chinois. Le
résultat est clair : Voodoo Kungfu enterre Manson sur son propre
terrain. Fort, très fort...
La
production est un facteur clé dans la très franche réussite de cet
album, qui sait concilier plusieurs aspects de leur musique ;
Suffisamment tranchante et agressive pour les parties metal sans être
brouillonne le moins du monde, absolument chaque instrument (et je dis
bien tous) se fait entendre. Mais aussi suffisamment profonde et
organique pour que les aspects plus folkloriques et atmosphériques
puissent tenir tête à un tel fatras de violence primaire, comme sur
« Only The Gods Can Judge Me ». Qu'il s'agisse des violons, des
guitares, des percussions, des samples ou même du chant presque
omniprésent, tout est judicieusement mis en valeur, un très bon signe
quand on voit la difficulté pour le groupe d'avoir accès à des
conditions d'enregistrement optimales et d'être signé, encore
aujourd'hui. Seule ombre au tableau, les parties sludge peut-être un
poil trop propres, mais c'est pour coller à l'aspect général de cette
uvre géniale.
Il
faut le dire, le pari que tenait Voodoo Kungfu était très très risqué ;
Comment réussir à marier autant d'influences et de styles, a priori
aussi contradictoires dans la forme et sur le fond ? Comment faire
quelque chose d'homogène ? Le groupe a su travailler d'arrache-pied
durant plusieurs années afin de parfaire ces quelques chansons, au style
inimitable. Pourtant, le groupe continue à s'autoproduire encore
aujourd'hui, malgré deux albums, deux lives et un passage remarqué à
l'édition 2008 du Wacken. À quand une signature sur un label digne de ce
nom ?