Cinéma - La Tétralogie Tokyoïte 3 - Tokyo Fist

Cinéma - La Tétralogie Tokyoïte 3 - Tokyo Fist
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Tokyo Fist
1995
de Shinya Tsukamoto
Je l’avais déjà sous-entendu dans l’article sur la série des « Guinea Pig » : le cinéma asiatique, et a fortiori japonais, recèle de petits joyaux qu’il est impératif de découvrir, qu’il s’agisse de thrillers, de pinku eiga, de films de monstres, de drames, ou même de films gore. En Occident, le réalisateur indépendant le plus médiatisé et le plus reconnu est sans nul doute Takashi Miike, auteur des prodigieux « Ichi The Killer », « Visitor Q » ou même de l’excellente trilogie non-sensique « Dead Or Alive ». C’est également l’une des deux références pour débuter dans le cinéma japonais indépendant, si le sang, la bizarrerie, l’ultra-violence ne vous rebutent pas.

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L’autre référence, ce serait également Shinya Tsukamoto, que l’on connaît surtout pour son premier moyen-métrage, « Tetsuo : The Iron Man »,  véritable ovni cinématographique, qui mettait déjà en scène les idées de Tsukamoto : un univers cyberpunk où la chair et l’univers industriel (béton, acier, plastique…) perdaient toute distinction, et se fondaient l’un en l’autre… Un homme devenait machine, des plaques d’acier sortant vicieusement de sa chair, pendant que l’on sentait que la ville devenait un monstre organique froid. Après un « Tetsuo 2 » qui reprenait largement les idées de son prédécesseur, tout en l’agrémentant de nouvelles idées, Shinya Tsukamoto réalise en 1995 ce qui sera très certainement son film culte : « Tokyo Fist », qui devait être le dernier volet de la trilogie tokyoïte, avant la sortie de « Bullet Ballet » trois ans plus tard, qui en fera finalement une quadrilogie.

Tsuda est le japonais trentenaire type : après ses études, il devient salary-man dans une entreprise comme il en existe des milliers au Japon, métier qui le surmène, ne l’épanouissant guerre, il est un homme au final sans véritable passion ni but dans la vie. En couple avec une jeune femme au foyer, effacée et docile, sans enfant, ses seuls moments de réconfort sont de partager avec elle des moments devant la télévision, à échanger des banalité. Leur existence à tous deux est morose, vide, sans but véritable, similaire à celle des autres salariés qui mènent une existence futile et anonyme dans un Tokyo désenchanté, d’allure froide et bétonné. On ne voit presque personne sortir dans les rues, celles-ci semblant être écrasées par les buildings sans fin et une chaleur absolument écrasante. Les premières minutes du métrage à ce propos, sont paradoxalement violentes : la caméra tremble sans cesse, part dans tous les sens, les plans sont anarchiques et complètement frénétiques. Quant aux couleurs, elles rendent un étrange combiné de filtres orange, rouge et bleu nauséeux qui s’allient parfaitement au gris bétonné, donnant une allure stérile, machinique mais également organique à la ville. 

Tsuda finit finalement par rencontrer par hasard Kojima, un ami du lycée qu’il n’avait perdu de vue depuis des années. On apprend que ce dernier est devenu boxeur professionnel, et il commence à ce moment-là à s’incruster dans le couple, et surtout à tourner autour de la petite amie de Tsuda. Cette dernière, attirée par la fougue brutale et le corps sportif du boxeur plutôt que par la douceur de son mari, délaisse rapidement son compagnon, et part s’installer chez lui. Tsuda, hors de lui, se rend chez celui qui fut un jour son meilleur ami et se fait évidemment sérieusement corriger en bonne et due forme (scène magistrale à ce propos, tout en filtres bleus et rouges vifs, le sang fuse et le jeu de l’acteur interprétant Kojima semble émaner d’un épisode de Dragon Ball Z).

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Et c’est à partir de ce moment que le film prend véritablement son envol ; Dès lors, Tsuda décidé d’apprendre la boxe dans le même club que Kojima et se soumet à un entraînement intensif. Cela a pour vertu de le réveiller, aussi bien physiquement que psychologiquement. D’une part, physiquement car il peut enfin ressentir le goût de l’effort physique, son évolution sportive mais aussi le goût du sang lorsqu’il est frappé, la sueur et cette douleur qui lui rappelle son enveloppe charnelle, choses qu’il avait oublié à cause de cette ville, monstre stérile mais organique qui le privait de l’essentiel. D’autre part, au fil de l’intrigue, on sent son agressivité renaître. Quant à sa petite amie, elle sombre dans une folie totale, faite de masochisme et de manipulation envers Tsuda et Kojima, sa passion dévorante pour les tatouages, les combats de boxe mais surtout les piercings la font un peu ressembler au protagoniste de « Tetsuo ». Le film suit donc cette étrange relation triangulaire faite de violence aussi bien psychologique que physique et débouche sur une explosion de violence que les trois protagonistes vivent seuls, face à leur angoisses, ce qui n’est pas sans rappeler le final de « Requiem For A Dream » dans la structure d’ailleurs, Darren Aronofsky se réclamant de l’influence de Tsukamoto…

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Le film, au final, se finit dans la violence et sur une note extrêmement pessimiste. Il n’y a pas d’espoir, il n’y en a aucun, et les protagonistes sont les premiers à en avoir conscience. Ils font le maximum pour se relever, pour se sentir vivre, et cela même le prix à payer, souvent très lourd. La violence qu’ils utilisent n’est pas un moyen, mais un but en soi, pour ressentir leur corps, leurs expériences finalement leur existence, même si cela doit les contraindre à la solitude ou la mort. Thème qui est d’ailleurs dans l’excellent « Fight Club » mais qui est lui, plus nietzschéen, plus « reconstructeur ».

« Tokyo Fist » est certainement, avec « Bullet Ballet », l’œuvre la plus aboutie du cinéaste japonais, les thèmes qu’il avait très brillamment développé dans « Tetsuo » sont ici plus réfléchis, complétés même (la relation qu’avaient eus Tsuda et Kojima dans le passé). Tokyo, sa modernité, son efficacité urbaine, mais aussi et surtout l’étouffement qu’elle exerce sur l’individu qui finit par ne plus en être un. La mise en scène, saccadée et épileptique alliée à une intrigue semblant par moments nébuleuse au premier abord tend au final à exploser en un plan cohérent où chacun se met à nu et saigne… Un très grand film, froid, apocalyptique et résolument négatif. Un must à posséder absolument !
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photos tirées du site www.devildead.com
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