Cinéma - Zone Z - Nekromantik

Cinéma - Zone Z - Nekromantik
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"Nekromantik" de Jörg Buttgereit, Allemagne, 1987
D’abord réalisé et conçu en tant que film d’horreur underground, « Nekromantik » réussit presque instantanément à se hisser aux côtés des œuvres cinématographiques ayant choqué le monde entier, de par une esthétique franchement macabre, mais aussi par une thématique encore inexploitée à l’époque, et toujours taboue, indéfendable aujourd’hui encore : la nécrophilie. Tourné sur deux ans, de 1985 à 1987, en super 8 mm, et avec les moyens du bord, jamais l’équipe de Jörg Buttgereit (équipe en majorité composé de ses propres amis) n’aurait crû voir son film au sommet du film indépendant de genre, trahir les conventions esthétiques et thématiques du cinéma, même trash de l’époque…

Rob travaille pour une société de nettoyage, la « Joe‘s Street Cleaning Agency », terme plus reluisant que société de ramassage de corps. Cette activité, en apparence repoussante, est l’occasion pour notre protagoniste de voler des morceaux de corps pour les ajouter dans sa collection personnelle, collection de bocaux de formol dans lesquels baignent des organes humains de tout types, des mains, des cœurs, des yeux, et même des foetus… Le tout y est filmé d’une manière décomplexée, montrant la décoration de l’appartement de manière crue, une vision presque contemplative sur la passion de la mort, afin de mieux souligner l’attachement que porte Rob envers les êtres et choses passés du côté du trépas… Une philanthropie inversée en somme… Mais Rob ne vit pas seul sa passion, et c’est là le point fort et intelligent du film… Il vit en couple avec Betty, une autre passionnée de nécrophilie, et ce couple évolue dans les sphères d’un érotisme fortement troublant, pervers, malsain au plus haut niveau, mais montré sous la facette d‘un romantisme marginal, comme nous le montre la scène du bain, où Rob se caresse sensuellement avec le sang et les tripes d’un chat fraîchement tué. L’image est, de plus, poisseuse, sale, comme si un jet d’urine était déposé sur la pellicule, entretenant l’atmosphère malsaine et putride de l’œuvre… Le tout rend comme un obscur documentaire obscur, tout juste bon à passer la nuit dans un « Die Nacht » d’Arte…

« Nekromantik » est aussi un film redéfinissant complètement le thème du triangle amoureux, au moment où Rob vole un cadavre à sa société pour le ramener chez lui… A partir de ce moment-là, une étrange relation se noue entre le couple et le corps arrivé en stade avancé de putréfaction… Le couple soigne le cadavre, lui fait l’amour sensuellement, lui parle, Betty lui raconte des histoires comme à une petite enfant attendant ses parents avant de s‘endormir… Le tout est admirablement mis en scène, mis en musique, avec brio, malgré les difficultés liées aux conditions de tournage… Mais Rob se fait mettre à la porte de son boulot, son équipe de travail se doutant que quelque chose cloche… C’est à partir de cet instant que le film revêt toute sa personnalité, car au-delà d’un film gore et choquant, l’œuvre touche à diverses thématiques, non seulement la nécrophilie en tant qu’esthétique et recherche de l’Éros, mais aussi sociales, la dépression, la marginalité, la violence en général… Betty, après une dispute dévoilant indiscutablement son côté vénal, le quitte, n’ayant plus de source d’organes et cadavres à portée de main, et Rob, désespéré, se venge alors sur un chat, originairement le cadeau pour se racheter, l’éventre et va ensuite prendre un bain en se caressant avec ses entrailles… Le reste du film s’intéresse à sa déchéance, qui après avoir été sociale, devient sentimentale, psychologique…

Après avoir goûté au gore, au malsain par l‘image première en filmant le sang et la rigidité cadavérique, « Nekromantik » semble se tourner, après la rupture entre Rob et Betty, dans le film psychologique, dans l‘œuvre presque absurde, c’est dur, cru, sans illusions, fort de symboles bien que des scènes gores apparaissent encore… Personnellement, je n’ai pas pris et compris ce brûlot comme étant un film d’amour, mais plutôt une œuvre montrant la recherche de l’amour, quel qu’il soit, à travers la misère humaine, qu’elle soit sentimentale ou sociale… La famille et le travail en prennent un coup, l’étiquette punk et anarchiste du film ne sont pas volées ; Les différentes scènes avec des animaux (un flash back de l’égorgement et la mise en pièces d’un lapin surtout, souvenir d’enfance de Rob, semblant être son animal préféré une scène authentique qui soulève le cœur… puis celle du chat, dont j’ai précédemment parlé), représentent, de manière imagée, ce que subissent des âmes pures et innocentes, image des enfants d’une famille, victimes des différents épisodes de trouble social (le lapin dépecé pour la nourriture par exemple) et sentimental (le chat torturé pour satisfaire la haine de Rob)

Les rêves sont parfois, dit-on, annonciateurs, mais toujours révélateurs… La scène du rêve semble être la plus surréaliste, la plus absurde, mais elle est la scène la plus révélatrice du film, dans le contexte de la recherche d’amour et d’esthétisme dans la mort ; Courant après une femme lumineuse, Rob, au visage nécrosé, semble connaître le bonheur… Il est mort, court après une femme souriante, il sourit… Dans un final explosif et extrêmement violent, il connaît le plaisir ultime, découvrant que pour vivre pleinement son bonheur, il devait se plier corps et âme à ses fantasmes…

Bafouant absolument toutes les morales, déstructurant les codes pré-établis du cinéma, « Nekromantik » est un véritable brûlot, œuvre culte d’un cinéma alternatif, voguant entre l’esthétisme macabre et le pamphlet social pour mieux décrire l’Homme perdu, terminal cinématographique de la symbiose entre l’amour et la mort… Un chef d’œuvre à regarder ou revoir impérativement.
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