
"Voyage Au Bout De La Nuit" - Louis Ferdinant Céline
Lire Céline pour la première fois, c’est comme avoir un premier ébat sexuel, on ne se rend pas forcément compte, on divague, on succombe à l’étrange, à l’inconnu, et on voit pour la première fois à quoi ressemble un trou du cul, la crasse cachée d’un corps dénudé… Lire Céline, c’est prendre part à une expérience, première et unique du genre, laquelle ne se révélant pas forcément plus excitante et poétique que des jambes de femmes emprisonnées dans leurs bas. Lire Céline, c’est savoir lire dans la merde, l’auteur, s’il pouvait de sa tombe me lire, ne pourra qu’être d’accord avec moi.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore l’écrivain, je me dois de rappeler qu’il est certainement l’un des écrivains les plus marquants de ce siècle, à classer plutôt aux côté d’Antonin Artaud, Emil Mihaï Cioran, Albert Caraco ou, dans un terme plus contemporain, Maurice Dantec, pour la forme, plutôt que Jean-Paul Sartre, Albert Camus et consorts. Ses œuvres sont le fruit des ages sombres allant des crises propres au années 1930 jusqu’à l’après-guerre, période à laquelle il meurt, en 1960. Ses écrits, du moins ses pamphlets, acerbes envers le communisme et les juifs lui ont permis de ne pas être inquiété durant le gouvernement de Vichy, durant l’occupation, mais lui ont valu d’être écarté du milieu littéraire dès son retour en France, après deux années d’incarcération au Danemark, en raison de son apparente liaison avec l’idéologie nazie. Un cas qui rappelle un de ses contemporains, Drieu La Rochelle.
Céline a vraisemblablement commencé à rédiger « Voyage Au Bout De La Nuit » au courant de l’année 1929, après le refus de sa pièce de théâtre « L’Église » de par la part des éditeurs. L’Œuvre paraît en 1932, permettant à Céline de gagner le prix Renaudot mais rate de peu le prix Goncourt. Mais cela reste de véritables futilités comparé au séisme littéraire que provoqua « Voyage », qui fut d’ailleurs même traduit au Japon. Après la lecture d’un pareil roman, on comprend très vite pourquoi Céline a été mis dès son retour sur la touche, qui voyait alors les idées existentialistes, situationnistes alors en pleine expansion.
Ce qui domine dans cette œuvre, et qui la rend si singulière, c’est bien sûr son style, entre conte tragi-comique et littérature populaire ; Ce voyage est l’occasion de mettre enfin à nu un monde dans lequel nous vivons tous, et dans lequel, avec du bon sens et d’autodérision, nous sommes forcés de nous reconnaître en tant que sous-fifres et bouffons d’une société de dégénérés. Les militaires, les scientifiques, les prolétaires, les bourgeois et les aventuriers en prennent tous pour leur grade, jouant tous dans cette immense bouffonnerie le même rôle : la caricature démesurée d’eux-mêmes, à en rendre presque le récit surréaliste par moments. Un monde sans saveur ni morale est décrié, sans semblants mais toujours avec farce et une froide lucidité de chirurgien, vous n‘y échapperez vous-même pas.
« Voyage » de sa construction en étapes géographiques, en nouvelles rencontres, en nouveaux soubresauts de l’existence médiocre de Bardamu, notre protagoniste, pourrait parfaitement s’apparenter à l’Odyssée d’Homère, mais évidemment en tant qu’antithèse. Bardamu, notre antihéros s’affiche dans sa plus grande crasse, dans sa lâcheté la plus humaine, figure ironique et scabreuse de l’Homme moderne.
Pour le reste, ce sera à vous de le découvrir dans ce chef d’œuvre absolu du roman moderne, qui permit aux lecteurs de découvrir Céline, l’anti-Homère des temps modernes.
Stryg.