
"L'Empire Des Sens" (titre original : "Ai No Corrida")
S'attaquer au monument qu'est "L'Empire Des Sens" est un exercice bien périlleux, renvoyant mes frêles dissertations sur les films gores à de simples mises en bouche, et comment ! "L'Empire Des Sens" est un film ambiguë, à visages multiples, ambivalent presque... Tout comme un joli paquet de films gores font du gore pour du gore (avec des exceptions comme "Zombie" de Romero, il en va de soi) , des films, jugés comme d'avant garde et extrémistes pour l'époque, comme le présent opus, font de l’Art au sens premier du terme… Esthétique, non conventionnel, poétique, cruel mais passionné jusque dans la mort et le sang, « L’Empire Des Sens » est une œuvre noire, charnelle, cruelle, mais intemporelle.
Le film reprend un fait divers qui s’est déroulé au Japon durant l’année 1936 ; une gouvernante, Sada Abe, ancienne Geisha, s’éprend de son patron et vit avec lui une relation tourmentée, charnelle mais extrêmement passionnée, qui, au fil du temps, va les contraindre à se couper définitivement du monde. Cette même année, l’Empire du Japon se retrouve dans un contexte social, politique et militaire dangereux ; coup d’État, contrôle militaire du pays et prémices de la guerre. Bien que peu évident au premier abord, le réalisateur du film Nagisa Oshima, se sert de l’aspect tourmenté de la vie publique nippone pour mieux souligner l’isolement des deux protagonistes (le défilé militaire durant lequel, Kishi, le protagoniste, marche à contresens des soldats)
Au premier abord, on pourrait penser que le film ne fait étalage que d’une succession de scènes d’amour entre un patron et son employée mais à mesure que le temps passe, l’amour immoral entre les deux protagonistes se révèle être porteur de sens, si ce n’est métaphorique, et cela, à plusieurs degrés ;
Tout est fait (dans la mise en scène, comme dans la manière de tourner l’affaire) pour transmettre au spectateur l’image d’un couple illégal (un patron marié se jetant dans les bras d’une employée), voire immoral (les longues scènes perverses de sexe, avec fellation en gros plan, strangulations…) car le film est incroyablement pervers, pour l’époque (1978), et même pour aujourd’hui, et cela pour une oeuvre qui n’a pas été classé pornographique dans de nombreux pays : fellations, éjaculation buccale en gros plan, strangulations, pénétrations, insertion d’un œuf dur dans le vagin (!) et émasculation plus vraie que nature… Tout est fait pour entretenir un climat de perversité, mais cela seulement au premier degré de l’œil du spectateur.
Au-delà, le constat peut être facile, clair pour la plupart des spectateurs, mais au moins, porteur de sens : cet excès de sexe jusque dans et après la mort révèle un amour absolument pur, sans ambiguïtés, les amants s’enferment dans une spirale, certes infernale les amenant à un point de non-retour, mais sincère et intègre.
Et l’esthétisme des images va également bien au-delà de la sublimation des rapports amoureux, d’abord comme esthétisme pur, où la seule vue des couleurs (chaudes, résolument dans des tons rougeâtres) et le minimalisme de certains décors donnent l’impression au spectateur de se fondre dans le film, d’être au final un voyeur malsain mais passionné par l’idylle effrénée mais suicidaire des deux protagonistes.
Allant toujours au-delà, le lien entre cinéma et esthétisme semble naturellement dévier vers une sorte de théâtralisation des rapports comme en témoigne la scène du faux dépucelage mêlant orgie sexuelle, amour pur et art nippon. La suite de l’intrigue semble découler, poétiquement comme une épique histoire d’amour nippone, intimiste mais tortueuse, cruelle mais belle…
Au-delà du film érotique, extrême par sa crudité et sa scène finale vraiment gore, un drame intimiste passionné mais cruel, sur l’amour, qui aussi pur qu’il soit, n’a comme issue fatale que la mort.
Stryg