
"La Saigne" de Ian Soliane
"Confession d'un enfant tueur, kaléidoscope pervers d'une incroyable quête d'amour, La Saigne est une odyssée moderne. De personnages hallucinés en paysages hallucinants, on suit lé héros - mi-ange mi-animal -, dans une exploration méticuleuse des tabous du sexe et de la mort. "Ne lis pas ce livre, si tu veux rester tranquille", nous prévient l'auteur. Non sans raison, car la saigne est un art bien particulier, et tout criminel, de sonder les coeurs..."
Un livre de plus signé chez La Musardine pourrait-on spéculer à la simple vue de la tranche de l'oeuvre, soit un énième livre érotique, pourtant bien ficelé et narré ; Il m'aura fallu les insistances du libraire pour que j'en fasse l'acquisition, me prétextant que livre était "de mon goût"...
Comme tout lecteur occasionnel de littérature érotique un brin plus intelligente que toutes les fantaisies mièvres qui se trouvent sur les sites pornographiques, j'étais parti dans cette aventure, comme un lecteur curieux, aux désirs voyeuristes, malsains peut-être, voire sadiques... mais dès la première phrase : "Ne lis pas ce livre, si tu veux rester tranquille" et ce qui suit, le lecteur sait qu'il sera traîné dans un monde fait de sang, de sexe et de merde.
Ce livre n'est pas un orgasme, ni un fantasme, encore moins un désir, mais plutôt un cauchemar pur et dur, où sexe, sang et merde constituent l'univers fantasmagorique de "La Saigne", cela pour choquer, nous retourner l'estomac et se dire que l'horreur la plus abjecte, la plus abyssale est atteinte... et le but est atteint... à la manière d'un Sade peut-on dire ; Toutes les monstruosités humaines sont déteintes : viols, incestes, infanticides, pédophilie, irrespect total et cruauté insoutenable envers les faibles (en majorité les vieux) où le crime paie mais n'est jamais puni, d'abord peint comme une horreur au lecteur profane que nous sommes, devient peu à peu la vertu de cet univers absurde, et donc de son anti-héros, jeune adolescent de 16 ans, mis à la porte de chez lui (lieu aussi violent et dérangeant que le dehors, où sexe et sang ne font qu'un) pour assouvir une quête, irrespectueuse, à la manière d'un Comte de Lautréamont lors de son très célèbre "Les Chants de Maldoror"... Un culte envers la noirceur et la cruauté en somme, c'est le lien principal que nous pouvons faire entre les deux auteurs...
Mais choquer bêtement pour se faire entendre n'est pas de l'apanage de Ian Soliane : Les crimes, et la cruauté sont bien évidemment gratuits, mais la force du déluge verbal et des atmosphères lourdes qui lui sont inhérentes, elles, ne le sont en aucun cas ; C'est une vision du monde, certes très personnelle et très noire mais c'est celle, sans niaiserie, sans faux-semblants, mais surtout sans prendre garde de ne pas bafouer le politiquement correct, sans utopies, à bâtons rompus.
Une narration épileptique, aucune histoire réellement construite, un commencement bref, pas de suite logique, et à la conclusion toute aussi brève... La vision du monde donc, décrit ici sans complaisance par Ian Soliane peut-être jugée par chacun comme bon lui semble, mais il est indéniable que sous cette prose violente se cache un tableau de ce que l'humanité peut créer comme monstruosités, à savoir les meurtres, les viols, les actes de tortures et de barbarie. Montrer le monstre et le criminel qui sommeille en chacun de nous, l'ombre de sadisme en chaque être humain. Ou tout du moins, l'on peut se rendre compte qu'en chacun de nous se réveillent des instincts de voyeurisme malsain à parcourir ces pages enflammées et ultra violentes.
Outre ce dualisme intelligemment écrit entre humanité et animalité, c'est surtout à un renversement total des valeurs que le lecteur est confronté ; voir le vice devenir vertu, ou plutôt une transgression de nos valeurs comme la famille, l'amour ou plus simplement l'instinct grégaire, la décapitation pure et simple de l'Homme actuellement et humainement perçu par l'aventure épique de l'anti-héros.
Il faut bien se douter que si l'auteur passe à la mitrailleuse autant de préjugés pour citer Nietzsche, Dieu n'est pas épargné ; Nous avons donc ainsi une quête irrespectueuse vers la mort, le sang, et le sexe, où les relations sont cesse établies entre l'anti-héros (ou ce qui serait un héros luciférien selon Lautréamont) et Dieu ; Celles-ci sont subtilement éclairées par les diverses conversations entre l'anti-héros et d'autres personnages passagers... Refus et identifications, souvent cité et prié, mais toujours dénigré, comme nous pouvons l'observer dans "Les Chants de Maldoror", lorsque ce dernier se soulève contre Dieu lors du premier chant en récusant ses principes moraux.
L'Homme est un tueur, comme Dieu, nous pouvons le constater à nouveau à travers une réécriture totalement délirante et morbide de la Genèse qui intervient au beau milieu du roman.
Ce dualisme de la bête humaine et de Dieu, étalé sur tout le roman, se conclut toujours et inévitablement sur un échec, une déception, et là encore, c'est tout un aspect de "La Saigne" ; La déception qui conclut chaque chapitre, lequel est l'aventure épique en quête de l'Absolu... de plusieurs absolus ; De l'Amour tout d'abord, comme l'épisode de perdition de sa soeur, ou encore la tentative de l'anti-héros à vouloir sauver une jeune fillette de ses illusions (qu'il finit par assassiner avec un plaisir rageur). Mais aussi de la mort et de la peur, l'anti-héros avouant à la fin qu'il a peur de celle-ci, tout en étant l'un des pires bourreaux.
Déception seulement ? En creusant plus loin, on peut conclure que "La Saigne" n'est pas seulement le livre de la cruauté humainement animale, ni celui de la relation entre désir et déception , douleur métaphysique, comme l'a si bien éclairé Schopenhauer.
Non, plus largement, "La Saigne" de Ian Soliane est le livre de la Condition Humaine, écrit sous sa forme la plus crue et la plus animale... certainement la plus vraie.

A noter que Ian Soliane a écrit plusieurs pièces de théatre (dont l'une, "Le Métèque", a été présentée au théatre Essaien) et s'est ensuite illustré par l'écriture d'un second roman, "Solange ou l'école de l'os" (éditions Leo Scheer), ainsi qu'un autre, plus autobiographique : "Le crayon de Papa" (toujours aux éditions Leo Scheer)
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Stryg