Les Seigneurs Du Chaos - critique

Les Seigneurs Du Chaos - critique

En 2005 sortait la traduction française de l'ouvrage de Michael Moynihan et Didrik Soderlind : "Les Seigneurs du Chaos" (ou "Lords Of Chaos" pour sa version originale), l'étude portant sur le black metal dans son intégralité soi-disant ; Le livre retrace l'histoire du genre musical de ses origines (soit Black Sabbath ou même Led Zeppelin, les débuts du metal) à aujourd'hui.

Voici le résumé figurant au dos de l'ouvrage : "A la fin du dernier millénaire, plus de 100 églises d'Europe ont été brûlées et profanées par des membres du milieu black metal, la forme la plus extrême de musique underground de toute la planète.
C'est dans une guerre impie prenant de plus en plus d'importance que les groupes de black metal et leurs fans obsessionnels ont laissé un héritage sinistre de suicides, de meurtres et de terrorisme qui continue à se propager de la Norvège à l'Allemagne, en passant par la Finlande, l'Amérique et au-delà...
Ecrit par deux journalistes qui ont un accés unique au monde peu fréquentable du black metal, le best-seller "Les Seigneurs du Chaos" a aujourd'hui été revu et augmenté avec de nouvelles révélations saisissantes. Ce récit primé présente des centaines de photos rares et d'entrevues avec des prêtres, des policiers, des satanistes et des leaders de groupes démoniaques qui croient que plus le mal se répand, plus leur triomphe est grand.
"

Les chiffres de vente du livreont explosés, dû à l'effet de surprise, les ouvrages concernant le metal extrême, et plus spécificiquement le black, étant inexistants (sauf "Eunolie" de Frédérick Martin). Le livre lu, les esprits appaisés, il faut maintenant se poser la question de savoir ce qu'a le bouquin dans le ventre ;

Pas autant que les pages le laissent suggerer en réalité, et même pas grand chose.


Parlons du livre dans ses grandes lignes ;

Après une introduction pourtant pas trop mal rédigée (très relativement intéressante, mais assez dispensable) sur les origines, le livre commence à partir un peu dans tous les sens. Parler rapidement du blues rock, de Led Zeppelin, du heavy metal, suivi par le thrash et le death, et cela de manière très succinte, le livre abandonne tout esprit d'objectivité pour aller s'engouffrer dans le sensionnalisme à outrance. "Les Seigneurs du Chaos" n'a réellement pour mission d'aller étudier les divers visages du black metal, mais ne vise qu'à faire l'étalage de faîts divers, du folklore propre au black metal (incendies d'églises, meurtres, suicides) et ne va pas du tout s'intéresser à la musique en elle-même, ni même des sous-genres et de l'éclectisme des thèmes abordés (à part Limbonic Art et Cradle Of Filth, il y a un unique et consternant dualisme NSBM/Satanic Black Metal)
La chronologie du livre est elle-même assez curieuse ; Bien, elle se déroule selon l'ordre des années, dans un ordre chronologique au sens premier du terme, mais purement binaire parlant du satanisme dans le black metal pour ensuite se pencher sur les liens qu'entretiennent le black metal avec certaines idéologies néo-paganistes ou encore d'extrême-droite comme le nazisme. Et cela, dans un univers plus complexe et riche qu'il n'y paraît, ça fait plutôt gros cette digression satanisme ----> paganisme d'obédience extrême-droite, non ? Surtout qu'une bonne partie du "Seigneurs du Chaos" s'axe principalement sur Varg Vikernes et Moëbus (ex-Absurd).
Evidémment, le livre reste intéressant pour ce qui est de savoir qui a tué qui, les faits criminels d'une manière plus romancée que dans une presse qui n'y connait que pas grand chose au monde du black metal, et qui pense quoi (les déclarations débiles de Vikernes auraient pu paraître chez les Grosses Têtes à ce propos) mais à part cette manie de creuser légèrement plus profonde, ne sait-on pas déjà tout ça ? Veux t-on plus ? oui, mais surtout autre chose, des faits qui n'ont été que peu ou pas abordés, et on ne retrouve pas tout ça dans "Les Seigneurs du Chaos"
Et même en ne se concentrant que sur les thèmes abordés par Moynihan, on peut toujours s'appercevoir que, bien que les relations existant entre satanisme et black metal sont bien mises en relief, il n'en est pas de même sur le néo-paganisme (et attention, pas d'amalgames dessus) les branches dites "ns" et le black metal ; ça reste bancal. Oui, il y a un joli paquet de feuilles sur Moëbus et son groupe Absurd. Mais cette version française du livre s'est vue grossir de faits datant au moins de fin 2004, or, pas un mot sur la scène d'Europe de l'Est, à part un très court apparté sur Graveland, mais aussi sur Korrozia Metalla, un groupe russe n'ayant aucun rapport avec le black metal, celui-ci jouant qu'un speed metal teinté de thrash, donc rien à voir avec des entités autrement plus extrêmes, idéologiquement comme musicalement, comme Forest (existant tout de même depuis le début des années 1990!), Temnozor, Branikald ou même Raven Dark. S'appercevoir aussi avec consternation que l'Ukraine n'a même pas été évoquée, comme Nokturnal Mortum, son leader Varggoth et ses liens avec le Pagan Front (rapidement évoqués aussi dans le livre) et des tracts du groupe retrouvés chez des skinheads ayant incendié des foyers d'immigrés.
Puis on passe du coq à l'âne pour à nouveau se retrouver nez à nez avec les crimes sataniques, cette fois-ci, sans aucun lien avec le black metal (c'est du black metal The Electric Hellfire Club maintenant ?) ou même encore des tueries d'adolescents se situant aux Etats-Unis, sans strictement aucun liens avec la musique elle-même ! Il y a de quoi être perplexe. Et à la fin, on repart à nouveau vers les délires "néo-païens odinistes hitlérien" d'un Vikernes sous coke.
Evidemment, on peut toujours dire que Moynihan et son associé Soderling sont objectifs dans leur manière de parler du sujet et que les bonnes questions sont par moment posées ("pourquoi la Norvège ?" "pourquoi une partie des jeunes s'y interesse ?"), mais à voir la façon dont les faîts sont compilés de manière brute, de faire l'étude de manière tapageuse du sujet (en gros, "idéologiquement, le black metal, c'est soit Satan ou Hitler (on va dire Odin pour la forme)"), il y a de quoi rester perplexe pour quelqu'un qui est depuis quelques années un auditeur averti de black metal. Moynihan aurait pu très bien mettre l'accens sur le fait que les black metalleux, aux idées extrêmes, n'ont pas besoin de passer par la guerilla pour les revendiquer, ou même s'intéresser à des thèmes plus divers dans le black metal : l'indus chez Mysticium, l'héroïc fantasy chez Summoning ou Bal Saggoth... En fait, il suffirait de savoir qui est Michael Moynihan ;


la photo parle d'elle-même

Michael Moynihan, du groupe de néofolk/indus Blood Of Axis, est éditeur (Storm Productions), avec à son actif des ouvrages de Julius Evola, un essayiste d'extrême-droite décomplexé. Mais également, il fut partie un temps de la Abraxas Foundation, un mouvement occulte mais aussi assez tendancieux niveau politique. Fait encore plus troublant, on retrouve dans les influences littéraires et "artistiques" de l'intéressé des personnages comme Julius Evola, mais aussi Leni Riefenstahl, qui travailla pour le compte du IIIème Reich grace à l'apport de films de propagandes. Pour couronner le tout, nottons que Moynihan est actuellement membre de l'Asatru Alliance, philosophie se rapprochant quelque peu des visions d'un certain Varg Vikernes.
Michael Moynihan peut très bien parler du satanisme comme étant une erreur juvénile mais il ne lui vient pas l'idée d'en faire de même avec l'idéologie païenne. Tentative publicitaire pour son propre compte ? d'interesser une partie de ses lecteurs à certaines des convictions qu'il partage lui-même ? Fort probable.
En attendant, après la sortie du livre "Les Seigneurs du Chaos", l'auteur s'est vu attaqué tour à tour par les membres d'Emperor (surtout Ihsahn et Samoth), Necrobutcher de Mayhem... pour avoir soit détourné des déclarations ou carrément les avoir inventées !

Un ouvrage limité pour conclure, toutefois intéressant pour étudier la "criminologie" dans le black metal, mais à lire avec désinvolture, ou beaucoup de recul.



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Stryg.